L’annonce en fin d’année 2017 d’une demande d’AMM pour un nouveau médicament qui répond au doux nom de Zubsolv® [1], associant la buprénorphine à la naloxone, nous a incité à nous reposer la question de l’intérêt de cette combinaison d’un agoniste et d’un antagoniste des mêmes récepteurs aux opiacés/opioïdes. Le principe de cette association a été initié par la mise sur le marché mondial de Suboxone®, médicament imaginé quelques mois après le mise sur le marché de Subutex® et les constats sur l’injection de ce même Subutex®, dès les premiers mois de sa commercialisation en France, en 1996.
Le principe de cette association repose sur une idée pharmacologiquement et apparemment simpliste :
- Prise par voie sublinguale, la naloxone ne serait pas absorbée par l’organisme et la buprénorphine peut alors faire son effet : être un ‘bon’ traitement de substitution opiacée, c’est-à-dire non détourné de sa voie d’administration.
- Détourné de son usage, plus précisément injecté ou sniffé, le médicament révèlerait son action ‘abuse-deterrent’ (qui dissuade de l’abus). La naloxone, cette fois, serait absorbée par l’organisme et irait bloquer (effet antagoniste) les mêmes récepteurs (mu) avant que la buprénorphine puisse les stimuler (effet agoniste). Les conséquences sont alors variables selon les individus, allant d’un état de manque à une diminution, voire une abolition, de l’effet agoniste espéré…
En juillet 2014, le Flyer avait commis cet e-ditorial (repris ci-dessous), toujours d’actualité à l’exception de quelques anachronismes, pour essayer de comprendre le décalage entre la réussite planétaire de Suboxone® et l’échec de sa mise sur le marché en France.
Suboxone®, le flop des années 2010 ?
Suboxone®, association de buprénorphine (Subutex®, qui lui fut un top des années 90) et de naloxone, antagoniste des récepteurs opiacés, combinaison censée limitée l’injection de buprénorphine seule (Subutex® et génériques). Force est de constater que ce nouveau MSO (Médicament de Substitution Opiacée) peine à prendre la place que lui avait promise la firme Reckitt-Benckiser. Mis sur le marché en mars 2012 et avec seulement près de 5 000 patients actuellement traités par Suboxone (100 000 pour Subutex® et génériques), on est probablement bien loin de ce qu’attendait la firme, au regard des investissements qu’elle consent depuis son lancement en 2010 et d’une meilleure réussite commerciale dans d’autres pays.
A notre avis, on peut attribuer ce désamour à plusieurs facteurs :
- Un pré-lancement qui a duré presque 10 ans, avec des changements de stratégie de la firme (Schering-Plough à l’époque, puis Reckitt-Benckiser devenu désormais Indivior) qui a annoncé successivement des positionnements divers et variés allant du remplacement pur et simple de Subutex® par Suboxone®, en passant par l’injection de Subutex® comme indication prioritaire jusqu’à des propositions moins étayées encore (les nouveaux patients !).
- Les avis des autorités de santé HAS et Groupe TSO de la Commission Addiction plutôt tièdes sur Suboxone®, ne voyant pas cette nouveauté comme une solution suffisante pour régler le problème de l’injection de Subutex.
- Des avis de neuropsychopharmacologues entendus lors de congrès, faisant part de la très forte affinité de la buprénorphine pour les récepteurs opiacés. En conséquence, le relatif sous-dosage de naloxone ne permet pas, en cas d’injection, de bloquer totalement l’effet heroin-like de la buprénorphine… ce qui était la promesse de départ !
- Les réactions des usagers sur les forums (Asud, Psychoactif, etc.) relayées par des professionnels de santé, percevant comme punitive cette promesse de départ et appelant à d’autres solutions pour réduire les risques en cas d’injection (mise à disposition de formes injectables, accès facilité à la méthadone, etc.). Il faut se rappeler que le concept initial était que celui qui se risquerait à injecter Suboxone® subirait un syndrome de manque, lui passant l’envie d’y revenir ! Ce qui en réalité n’arrive pas, pour la raison précédemment citée (pas assez de naloxone pour déplacer la buprénorphine et sa forte affinité pour les récepteurs mu, fort heureusement a-t-on envie de dire…).
- Certaines études, non commanditées par la firme, qui semblaient montrer qu’en cas de remplacement de Subutex® par Suboxone®, à l’échelle d’un pays par exemple, cela n’avait pas d’incidence sur les pratiques d’injection (étude de Bruce, Malaisie).
- D’autres analyses, comme celle de Byrne (Flyer 53, page 18, reprise ci-après), qui laissent entendre que même pris par voie sublinguale, la naloxone arrive sur les récepteurs opiacés et contrarie l’effet de la buprénorphine. Ce qui pourrait avoir comme conséquence la nécessité d’augmenter la posologie (ça tombe bien puisque le maximum autorisé par l’AMM est de 24 mg/jour, supérieur au maximum autorisé pour le Subutex® qui est de 16 mg/jour).
- Selon les témoignages sur les forums d’usagers, des retours à la buprénorphine seule ou des passages à la méthadone pour beaucoup de patients mis contre leur gré sous Suboxone®. L’intérêt perçu par les médecins (une minorité si on en se fie aux ventes du médicament) semble se situer à plusieurs niveaux (voir l’article du Dr Jérôme Bachelier, Flyer 49, page 25).
- La possibilité de donner plus de 16 mg à certains de leurs patients, sans subir les foudres des médecins-conseil.
- L’opportunité de changer de médicament (même si le principe actif du médicament de substitution reste le même) et de démarrer une nouvelle dynamique de soin…
- Pour certains patients, la possibilité de proposer une alternative à Subutex® en cas de doute sur la destination du produit (suspicion de revente).
- Un goût différent, plus acceptable par les patients (citronné).
Au final, alors que c’est un succès commercial dans beaucoup de pays, Suboxone® restera une anecdote dans l’histoire des Médicaments de Substitution Opiacée en France, histoire qui restera encore longtemps marquée par le succès extraordinaire de la mise sur le marché de Subutex® en février 1996 et une progression marquée de l’accès à la méthadone entre 1995 et aujourd’hui.
C’est paradoxalement en terre de Subutex® (ou bien cela en est une explication, la France est le premier pays où il a été commercialisé et, de surcroît avec un tel succès) que Suboxone® semble devoir rester à la marge avec seulement 2 % de patients recevant ce médicament. Mais nul ne sait ce que nous réserve l’avenir et, peut-être que demain, Suboxone® finira par trouver une place [ndlr actuelle : ce n’est toujours pas le cas, quelques années après avoir écrit cet e-ditorial], si ce n’est la place que la firme voulait lui réserver, dans le marché des médicaments de substitution opiacée. Nous avions, lors de la mise sur le marché de Suboxone®, fait part de notre réserve sur les promesses infondées parfois formulées, tout en accueillant cette option avec bienveillance.
Analyse du Dr Andrew Byrne
Mais revenons sur l’analyse du Dr Andrew Byrne, médecin australien et précurseur de l’utilisation des médicaments de substitution aux opiacés dans son pays.
Nous l’avions publiée dans le Flyer 53, à l’époque où Reckitt-Benckiser annonçait pour la France, à grands renforts promotionnels et soutenu ardemment par quelques leaders d’opinion (a posteriori pas très bien inspirés), l’avènement de Suboxone®.
L’analyse suivante a été réalisée en anglais à partir de deux études : « Effects of sublingually given naloxone in opioid-dependent human volunteers. Preston KL, Bigelow GE, Liebson IE. Drug Alcohol Dependence 1990 25:27-34 » et « Urine naloxone concentration at different phases of buprenorphine maintenance treatment. Heikman P, Häkkinen M, Gergov M, Ojanperä I. Drug Test Anal. 2013 Mar 19. doi:10.1002/dta.1464»
Cher(e)s collègues,
Une ancienne publication m’a été envoyée après plusieurs discussions autour de l’association de la naloxone à d’autres opiacés, comme tentative pour prévenir ou empêcher l’usage par voie injectable. Mon sentiment a toujours été que les preuves étaient minces en faveur de ce concept attractif et la poursuite du mésusage était en pratique prévisible. Par conséquent, je préconise toujours l’utilisation de la buprénorphine seule.
Dans l’étude de Preston et al., de taille modeste mais très bien construite, la prise de naloxone par voie sublinguale a entraîné un syndrome de sevrage précipité pour 2 usagers d’héroïne sur 6 et pour 3 patients sous méthadone, lorsque l’on administrait des posologies croissantes par voie sublinguale (de 2 à 8 mg).
La conclusion des auteurs était que « la naloxone peut être administrée par voie sublinguale jusqu’à des posologies de 1-2 mg chez des usagers abuseurs/dépendants aux opiacés, sans entraîner la survenue d’un syndrome de sevrage ». La croyance populaire veut que la naloxone ne soit pas absorbée par voie sublinguale dans des proportions cliniquement significatives. Cette étude réalisée par des auteurs éminents montre le contraire plus de 20 ans après.
L’étude plus récente réalisée par l’équipe finlandaise du Dr Heikman, s’est intéressée à la mesure des concentrations urinaires en naloxone et en buprénorphine. Elle montre que le concept d’association avec de la naloxone est toujours en cours de discussion. L’étude a été menée sur 40 personnes reparties selon 3 groupes (patients à l’entrée du traitement, patients considérés comme stables et patients instables) et suggère que les concentrations urinaires en substances pourraient aider à vérifier la compliance. Les patients « instables » présentaient des niveaux de naloxone significativement plus élevés (ndlr : du fait de l’injection de Suboxone).
Actuellement, face à un patient non stabilisé sous buprénorphine, il serait plus logique d’envisager la méthadone (ndlr : cette opinion n’est pas issue de l’étude mais reflète la pratique professionnelle du Dr Andrew Byrne et n’engage que lui). Cette étude semble également confirmer que la plupart des patients faisaient usage de buprénorphine avant d’entrer en traitement et, comme en Nouvelle-Zélande 20 ans plus tôt, la buprénorphine était l’opiacé illicite injecté le plus populaire en Finlande.
Concernant l’association avec de la naloxone, à ma connaissance, les tests les plus élémentaires d’équivalence thérapeutique (avec la buprénorphine seule) n’ont toujours pas été effectués.
Selon moi, les preuves indispensables pour une large utilisation sont insuffisantes. En effet, certaines observations et certains rapports anecdotiques indiquent que les personnes ayant changé de traitement pour l’association ont nécessité des posologies de buprénorphine significativement plus élevées (de plus de 50 % dans l’étude pilote de Bell à Sidney –2004).
Selon d’autres auteurs, le besoin de recourir à de telles augmentations est de courte durée (références sur demande). Ces résultats nécessitent des éclaircissements et le travail pourrait être réalisé de manière relativement simple.
Des posologies plus élevées de buprénorphine signifient :
- 1 – une posologie plus élevée de naloxone,
- 2 – des coûts plus élevés pour le système de santé et
- 3 – des profits plus importants pour les firmes.
Malgré le franc succès rencontré par la commercialisation de l’association buprénorphine/naloxone dans certains pays (ndlr : pas en France malgré la forte et ancienne implantation des traitements par buprénorphine seule, ce qui pourrait être aussi une explication), les notifications de mésusages sont maintenant courantes et l’histoire est en train de se répéter.
Une substance pure sera toujours plus attractive pour une personne dépendante. Quel que soit le produit associé : avec de l’eau par exemple, un jus de fruit, de la craie, de la vitamine D, du paracétamol ou du caramel, le potentiel de mésusage sera probablement réduit – mais cela pourrait aussi avoir des effets délétères. Il n’est pas certain que la naloxone ait un quelconque bénéfice contrebalançant son coût ou ses effets secondaires potentiels (Ndlr : en France, il n’y a pas de surcoût pour Suboxone® à posologie égale à Subutex®, car son prix est aligné sur celui des génériques).
Sans surprise, ni les firmes, ni les autorités dans la plupart des pays, ne veulent assumer l’utilisation de l’association pendant la grossesse ou en instauration de traitement. Malgré cela, cette recommandation a été largement ignorée aux Etats-Unis et en Australie. Il ne fait aucun doute que la buprénorphine est un excellent traitement de substitution aux opiacés pour les patients ne souhaitant ou ne pouvant pas prendre de la méthadone et chez ceux pour lesquels la méthadone n’est pas disponible ou n’est pas satisfaisante pour différentes raisons. L’ajout d’une solution alternative (la buprénorphine) a facilité notre exercice professionnel, offrant un choix pour des patients qui n’en avait auparavant aucun (à part le sevrage, qui est toujours un choix possible pour les patients dépendants).
Pour conclure, et répondre à la question : avec ou sans naloxone ?
Nous réitérons, avec la même conviction que précédemment, nos doutes sur l’intérêt d’associer dans un même médicament de substitution aux opiacés un agoniste opiacé (la buprénorphine ou tout autre agoniste opiacé) avec un antagoniste (la naloxone). Cette recette, pour ne pas dire tambouille, pharmacologique visant à dissuader les usagers de s’injecter la buprénorphine nous parait peu pertinente et n’a toujours pas fait la preuve de son efficacité pour limiter le mésusage, loin s’en faut.
La question a déjà été posée dans nos colonnes [2] : « L’association buprénorphine-naloxone peut-elle faire mieux que la buprénorphine seule ? » par Ernesto De Bernardis et Lina Busa.
Des publications récentes tendent plutôt à montrer l’absence de bénéfices de l’association buprénorphine + naloxone comparée à la buprénorphine seule, comme l’étude de Kelty et al. publiée en mars 2018.
Menée en Australie auprès de 3 455 patients, elle conclue par : « L’ajout de naloxone ne semble pas améliorer le profil de sécurité de la buprénorphine » [7]. Un des résultats inquiétants fait part d’une surmortalité après l’arrêt du traitement plus d’une fois et demi supérieure dans le groupe buprénorphine + naloxone. Notons aussi la fréquence plus élevée d’hospitalisation liée à une intoxication opiacée plus importante dans le groupe ‘association’, révélatrice peut-être de consommations illicites plus fréquentes.
Dans la discussion, les auteurs avancent l’hypothèse selon laquelle cette surmortalité, chez les patients après l’arrêt du traitement buprénorphine + naloxone, pourrait être liée à la naloxone elle-même. En effet, l’exposition prolongée à des faibles doses de naloxone rendrait l’individu plus sensible au risque d’overdose en cas de re-consommation après l’arrêt du traitement (upregulate opioid receptors or limit the downregulation of the opioid receptors that occurred with the prolonged use of BUP). Cela rappelle que, contrairement à la légende, la naloxone est bien absorbée par voir sublinguale et pas seulement par voie injectable. Un patient avec une posologie journalière de 12 mg de buprénorphine associée à 3 mg de naloxone absorbe environ 0,3 mg de naloxone. C’est la biodisponibilité de la naloxone par voie sublinguale.
A moins qu’il s’agisse d’un biais de recrutement évoqué lui-aussi par les auteurs.
En septembre 2017, dans MMD – Medicina Delle Dipendenze – Italian Journal of Addiction, une étude menée sur 2 461 patients suivis dans 27 services spécialisés [8] montre une fréquence d’injection supérieure avec l’association comparée à la buprénorphine seule, malgré une préférence moindre pour l’injection de l’association.
En France, malgré l’historique ‘buprénorphine’, aucune étude sérieuse et indépendante n’a été menée. La diffusion anecdotique de Suboxone® a rendu par ailleurs très difficile l’évaluation de son intérêt, y compris au travers des données d’addictovigilance ou d’autres dispositifs comme Oppidum ou Opema [9].
Intérêt pour les patients ou les firmes
Il faut également bien avoir à l’esprit que ces formulations (association de principes actifs, formulations non détournables) ont avant tout pour objectif de prolonger la mainmise de certaines bigs pharmas sur des marchés sur lesquels elles ont beaucoup investi. Il n’est donc pas étonnant de voir arriver ces ‘nouvelles’ formes au moment où les brevets des firmes tombent dans le domaine public. De nouveaux brevets leur permettent ainsi d’éviter l’invasion des génériques. L’arrivée de Suboxone® en France, qui devait dans les rêves les plus osés des dirigeants de la firme remplacer Subutex®, coïncide à quelques mois près à la mise sur le marché des génériques à base de buprénorphine. C’est une pratique courante dans l’industrie du médicament et qui dure depuis plusieurs décennies, dans tous les domaines thérapeutiques.
Réduction des risques ou risques plus élevés
Les médicaments abuse-deterrent, a fortiori à vocation punitive en cas de détournement, ne s’intègrent pas dans une approche ‘Réduction des Risques et des Dommages’ qui a réussi, non sans mal, à s’imposer en France. Proposer, avec le soutien enthousiaste, intéressé et parfois naïf des firmes pharmaceutiques, des formes non-détournables à des usagers en difficultés dont la tendance est parfois de détourner les médicaments qui leur sont proposés, est souvent contre-productif en termes de prises de risques :
- Ils peuvent sortir du système de soins devenu alors peu empathique ;
- Ils peuvent aussi se détourner (à leur tour !) des formes qui leur sont proposées-imposées au profit d’autres formes toujours présentes sur le marché et acquises par un nomadisme médical ;
- Ils peuvent revenir sur le marché parallèle et retrouver les substances dont ils sont devenus dépendants (héroïne en l’occurrence), dont la qualité est aléatoire et avec des produits de coupe plus dangereux que la substance elle-même.
Nos Autorités de Santé ont bien compris ces enjeux. ANSM et Mildeca notamment ont par exemple encouragé le développement d’une substitution injectable, à base de buprénorphine, pour les injecteurs de buprénorphine ou, plus généralement, pour les ‘injecteurs’ qui pourront alors entrer dans une modalité thérapeutique accompagnée par des professionnels aidants et non contraignants.
Concernant spécifiquement les injecteurs d’héroïne, peu enclins ou non prêts à une substitution sublinguale, avec ou sans naloxone, ni orale par méthadone, l’absence de programmes ‘héroïne injectable’, validés pourtant scientifiquement depuis plusieurs années [3] et mis en œuvre dans plusieurs pays, a pour conséquence une persistance de l’utilisation de sulfates de morphine, injectés dans la plupart des cas. Les usagers y retrouvent l’effet de l’héroïne injectée. Le sulfate de morphine est effectivement, de toutes les substances pharmaceutiques disponibles, ce qui se rapproche le plus de l’héroïne – diacétylmorphine, avec la qualité pharmaceutique en plus !
Mais là-aussi, la tentation existe parfois de limiter le détournement en proposant des formes non-injectables en l’occurrence de Skenan® (extrait d’un compte-rendu d’une commission technique à l’ANSM : « Une modification de la galénique du Skenan® afin de limiter les risques d’injection devrait également être envisagée » [4]). Qui peut penser sérieusement que rendre ce médicament non-injectable réglera le problème du détournement dans la population d’usagers qui se l’injectent ? Qui peut imaginer un instant que les injecteurs actuels de Skenan® passeront à la voie orale si le Skenan® devient non-injectable, sans se tourner vers d’autres opiacés, notamment illicites comme l’héroïne, toujours présente sur le marché ?
Citons ici l’étude australienne récente elle-aussi [5], intelligemment menée, et qui a parfaitement montré l’inutilité en terme de Santé Publique de recourir à des stratégies de ce type. À l’occasion du retrait d’une forme d’oxycodone détournée au profit d’une nouvelle forme dite tamper-resistant (inviolable) par la firme Mundipharma, les chercheurs ont conclu à une absence de bénéfices en matière de Santé Publique liée à des transferts vers d’autres médicaments sur le marché. Cette publication a fait l’objet d’un résumé par Benjamin Rolland dans les colonnes du Flyer [6]. Aux Etats-Unis, cette stratégie a conduit à une brutale augmentation des overdoses liée au recours sur le marché noir d’une héroïne coupée aux fentanyloïdes.
S’il est toujours intéressant de disposer de nouvelles options pharmacologiques pour élaborer des traitements sur mesure, tant sur le plan pharmacologique que dans les mesures d’accompagnement non pharmacologiques, nous avons accueilli l’arrivé d’une nouvelle présentation de buprénorphine-naloxone, Zubsolv®, avec le même manque d’enthousiasme que nous avions manifesté à l’occasion de l’arrivée de Suboxone®. L’échec de Suboxone®, lancé à la conquête de Bupréland [1] il y a quelques années, nous a donné raison, ainsi que les publications récentes mentionnées dans cet article.
Comme notre collègue australien, Andrew Byrne, nous pensons que la buprénorphine est une option intéressante, mais plutôt sans naloxone associée, ce qui répond à la question-titre de cet article. Et, de préférence, dans le cadre d’une approche ‘Réduction des Risques et des Dommages’, peu compatible avec le concept très moral d’‘abuse-deterrent’. Nous manifestons donc vis-à-vis de Zubsolv® les mêmes réserves que nous avions évoquées lors de l’arrivée de Suboxone®. Sa seule ‘originalité’ est de proposer une gamme de dosages différents des formes de Subutex®, génériques et Suboxone® existantes.
Rien de plus !
Références
- (1) S. Robinet & al. Buprénorphine, de nouvelles formes arrivent à la conquête de Bupréland !!, publié dans le Flyer n° 70 (Février 2018)
- (2) E. de Bernardis. L’association buprénorphine-naloxone peut-elle faire mieux que la buprénorphine seule ?, publié dans le Flyer n° 57 (Nov. 2014)
- (3) Ferri M, Davoli M, Perucci CA. Héroïne pharmaceutique dans un programme de maintien à l’héroïne destiné aux héroïnomanes chroniques, Cochrane, 16 May 2012
- (4) ANSM, Comité technique des Centres d’Évaluation et d’Information sur la Pharmacodépendance, Séance du 23 mars 2017
- (5) Briony Larance & al. The effect of a potentially tamper-resistant oxycodone formulation on opioid use and harm: main findings of the National Opioid Medications Abuse Deterrence (NOMAD) study, The lancet.
- (6) B. ROLLAND, Pas d’impact de la mise sur le marché d’une forme inviolable d’oxycodone en Australie sur les mésusages et la consommation d’opioïdes, Flyer n° 71 (Mai 2018)
- (7) E. Kelty & al. Buprenorphine alone or with naloxone: Which is safer?, Psychopharmacol, 2018 Mar
- (8) F. Lugoboni & al. Il misuso iniettivo di farmaci nei pazienti in terapia sostitutiva oppioide presso 27 SerD italiani: qual è la sostanza più appetita o più pericolosa?, MDD