L’accueil des femmes enceintes toxicomanes a été profondément humanisé ces dernières années dans de nombreuses équipes françaises. Les changements de pratiques portent sur plusieurs points.
- 1 – La prise en charge de ces grossesses en tant que grossesses à risque de complications périnatales, sans aucune référence au caractère illicite de l’usage de drogues. Une surveillance attentive et précoce de ces grossesses permet la prévention de la plupart des complications périnatales autrefois fréquentes, et tout particulièrement de la grande prématurité.
- 2 – La mise en place d’une équipe pluridisciplinaire en maternité (obstétriciens et sagesfemmes, pédiatres, psychologues, assistantes sociales et spécialistes de la toxicomanie), ayant pour objectif affiché l’établissement d’un lien mère (père) – enfant solide et la prévention, d’une part, de la séparation et, d’autre part, des conséquences sur le développement cognitif et affectif de l’enfant de situations familiales chaotiques.
- 3 – La prise en compte réelle de la dépendance aux produits consommés et de la réalité du risque fœtal majeur (souffrance fœtale aiguë voire mort in utero) induit par des sevrages brutaux lors des hospitalisations pour l’accouchement ou pour des complications de la grossesse. La prescription d’un traitement de substitution et le soutien médico-psycho-social qui doit l’accompagner, sont des outils qui se sont avérés très efficaces.
- 4 – Un fonctionnement en Réseau Ville-Hôpital. Le réseau ville-hôpital-toxicomanie permet de tisser des liens de confiance avec les médecins généralistes et avec les Centres spécialisés qui suivent ces femmes, et de modifier l’image négative qu’avaient ces intervenants de nos maternités. Le réseau ville-hôpital périnatal, avec surtout la Protection Maternelle et Infantile et les Intersecteurs de Pédopsychiatrie, permet la mise en place d’un soutien à domicile, avant et après l’accouchement.
Tous ces changements de pratiques, dont la substitution n’est qu’un élément, ont profondément modifié la prise en charge périnatale de ces femmes et de leurs enfants ; ils ont abouti à une participation beaucoup plus chaleureuse de ces mères aux soins de leur enfant en Maternité ou en Néonatologie, y compris en cas de syndrome de sevrage néonatal, et ont beaucoup fait diminuer le taux de séparation mère-enfant. Depuis juin 1998, a été mis en place par une Association loi de 1901, Groupe d’Etudes Grossesse et Addictions (GEGA), une réflexion collective sur nos pratiques de terrain, pour faire bénéficier toutes les équipes (obstétriciens et sages-femmes, pédiatres et spécialistes de la prise en charge des usagers de drogues) des expériences acquises par tous.
La grossesse semble clairement un moment privilégié pour la mise en place, dans le long et douloureux parcours d’une femme dépendante de drogues, d’une action pluridisciplinaire, en réseau ville-hôpital, visant à améliorer le pronostic à long terme de l’enfant et de sa mère. Le GEGA, en collaboration avec le Département des Sciences Sociales de la Sorbonne (Mme Laurence SIMMAT-DURAND) et avec un financement de l’OFDT, vient de terminer l’analyse d’une cohorte prospective multicentrique des syndromes de sevrage de 260 nouveau-nés de 259 mères toxicomanes substituées dont 62 % sous buprénorphine haut dosage et 38 % sous méthadone.
Il en ressort principalement :
- 1. Que, grâce à une prise en charge par une équipe multidisciplinaire et en réseau ville-hôpital :
- – le pronostic périnatal est nettement amélioré par rapport aux études antérieures, en particulier pour la qualité du suivi de la grossesse, le taux de prématurité (10 %), la morbidité néonatale,
- – la mise en place du lien parents/enfants est améliorée avec 96 % des nouveau-nés sortis de Maternité ou de Néonatologie avec leur mère et 60 % avec leur mère et leur père.
- 2. Il n’a été retrouvé aucune différence entre les conséquences périnatales des traitements de substitution par méthadone ou buprénorphine haut dosage, en dehors d’une tendance à un syndrome de sevrage un peu plus tardif et prolongé sous méthadone
- 3. Les difficultés médico-psycho-sociales pendant la grossesse et après l’accouchement sont plus corrélées à des marqueurs de précarité psychosociale qu’aux produits consommés.
Les 7 textes réunis dans ce numéro spécial du bulletin ‘LE FLYER’ illustrent bien l’évolution de cette offre de soins et les problèmes qui restent à résoudre. La mise en place ou la poursuite d’un programme de substitution est un élément majeur de la prise en charge des femmes pharmaco-dépendantes aux opiacés.
Le texte de Chantal JUBINEAU contient un résumé clair et précis des données de la littérature sur les principes de la prescription et de la surveillance d’un traitement de substitution par la méthadone chez une femme enceinte, en insistant sur l’importance d’une prise en charge globale, par un réseau de professionnels et du suivi gynécologique de ces femmes.
Olivier POUCLET présente une revue de la littérature récente sur l’intérêt et les modalités de prescription d’un traitement de substitution par la méthadone pendant la grossesse et après l’accouchement.
Ce texte est complété par l’analyse d’un article récent de J.J. Mc CARTHY sur l’excrétion de la méthadone dans le lait maternel qui montre bien que l’allaitement par la mère est possible.
Christian JACQUES présente les résultats d’une enquête réalisée auprès des médecins généralistes belges francophones, qui met en lumière l’importance du rôle des généralistes dans la prise en charge des femmes toxicomanes ; il insiste par ailleurs sur la fréquente surévaluation des risques encourus par l’enfant, dûe à la stigmatisation de la consommation de drogues illicites, alors que l’exposition fœtale à l’alcool, beaucoup plus dangereuse, est regardée avec un œil moins agressif.
Anne-Clotilde DEMAN a rédigé une mise au point bibliographique très complète sur le syndrome de sevrage des nouveau-nés de mères pharmaco-dépendantes aux opiacés et ses modalités de prise en charge.
L’étude rétrospective de Myriam CASSEN rapportant le parcours et le devenir à moyen terme de 54 enfants et de leurs 41 mères montre bien les difficultés de prise en charge en l’absence de traitement de substitution, dans une population de femmes gravement dépendantes aux opiacés et suivies en CSST. Le taux de séparation mère/enfant est, dans cette population, particulièrement élevé (12 % d’emblée et 40 % secondairement).
Enfin Corinne CHANAL et toute l’équipe pluridisciplinaire de Montpellier, pionnière dans ce domaine, présente leurs modalités de fonctionnement et leurs résultats, très spectaculaires en matière de prévention des pathologies périnatales et de la séparation mère/enfant.
Beaucoup de chemin a été parcouru, grâce à un changement de notre regard sur ces femmes, mais il reste encore beaucoup à faire pour généraliser ces pratiques et pour toujours améliorer notre accueil.